Le végétarisme adopté par conviction chrétienne n’est-il qu’une question alimentaire ? 

On parle de fait d’un régime alimentaire mais…

Ce dernier n’est qu’une des conséquences d’une démarche plus globale. Celle-ci consiste en effet à actualiser les relations d’amour trinitaire entre les hommes et les créatures non-humaine (ici des animaux) permettant aux premiers de déployer plus pleinement leur nature d’images de Dieu par qui se réalise le Royaume.

Le végétarisme adopté par conviction chrétienne est donc avant tout l’expression d’une démarche de relation à Dieu déployée dans les relations aux autres créatures sans condition. Exactement comme l’engagement social (le christianisme n’est pas du socialisme : cet forme d’engagement n’est qu’une des expressions possibles de l’Amour de Dieu).

« le royaume de Dieu n’est pas l’affaire de nourriture et de boissons » (Romains 14,17)

Invoquer le plaisir de la fête pour justifier la consommation de viande en général et de viande d’agneau en particulier est-il sérieux ?

1. La fête (comme la tradition) n’est pas une norme morale en tant que telle : elle ne justifie en rien la qualité morale des pratiques qu’elle recouvre. Dans le cas de la consommation des agneaux, ce n’est évidemment pas la fête qui est en cause mais la mise à mort (assortie de souffrances) de créatures de Dieu ; cela à l’occasion de la fête dont le sens le plus profond est la foi en la restauration future d’un Royaume de Paix et Justice pour l’ensemble du cosmos.

2. Le problème n’est donc pas quantitatif (on tuerait trop d’agneaux), mais qualitatif : le fait même de la mise à mort à l’occasion de l’affirmation du Salut universel.
3. Enfin, un chrétien serait-il incapable de fêter sans un bout de viande alors que taoïstes et bouddhistes pratiquants le peuvent ?!

L’exemple des chaînes trophiques (alimentaires) dans la nature, où l’on voit que des prédateurs consomment des proies, peut-il être utilisé pour justifier la consommation par l’être humain de viande ?

Non, et ce pour plusieurs raisons. Nous parlerons ici de la consommation de viande en général, sachant que la fête de Pâques revêt en plus un caractère symbolique extrêmement fort en faveur de la vie.

Pour le christianisme :

  1. la nature telle que nous la connaissons a elle aussi été touchée par le « péché originel » (c’est-à-dire, pour une raison mystérieuse, l’éloignement de Dieu). Ainsi les dynamiques écosystémiques de la nature ne sont pas un modèle en tout : cela est tout particulièrement vrai à propos de la prédation du plus fort sur le plus faible, ou de l’abandon de ce dernier à son propre sort. Ainsi :
    ◦ on voit clairement que les sociétés humaines ont toutes élaboré des lois de manière à réguler ces aspects là en leur sein et assurer la justice. Aucune société humaine ne prend la nature comme une norme brute de relation et encore moins le christianisme dont l’Espérance est un monde délivré de la violence ou, de manière positif, celle du règne de l’Amour de Dieu – omniprésent dans les paroles de Jésus-Christ.
  2. Si la prédation participe de la dynamique des écosystèmes il convient cependant de remarquer que les relations de complémentarité (symbiose, commensalisme, mutualisme) y sont au moins aussi essentielles. On pourrait également citer d’autres fonctions des êtres vivants ne relevant pas à proprement dit de la relation : le recyclage de la matière organique par les organismes du sol, le captage de l’azote de l’air par certaines bactéries, la synthèse de matière organique par les végétaux, etc. Ainsi :
    ◦ d’un point de vue strictement scientifique il est arbitraire de mettre la relation de prédation en avant par rapport aux autres.
  3. Dans la nature blessée (soumise au péché originel) traversée par la violence, l’Homme a le rôle particulier, puisqu’il est appelé à manifester sa nature d’image de Dieu, de témoigner de manière prophétique d’un autre ordre des choses : le Royaume (cf. ci-dessus).
    ◦ Si Dieu est Amour (1 Jn 4, 8), alors c’est en manifestant l’Amour de Dieu que l’Homme devient « image de Dieu ».
    ◦ L’Amour de Dieu s’exprime dans Son acte créateur : c’est donc en permettant à chaque créature d’être ce qu’elle est que l’Homme manifeste l’amour de Dieu
    Ici, l’Homme et le loup (ou autres prédateurs) ne sont donc pas égaux vis-à-vis de la violence. L’Église ne cesse de rappeler que l’Homme est à l’« image de Dieu »1 et Saint Irénée de Lyon (IIème Siècle) préfère penser qu’il est appelé à le devenir. Pas les autres prédateurs !
    ◦ Souhaitons nous être digne de cet nature ou répétons-nous ces mots « image de Dieu » comme une glorieuse formule vide de sens, pire, comme une justification pour justifier notre violence sur les autres créatures ?
    User de du titre d’ « image de Dieu » pour justifier l’usage de notre puissance sur les êtres plus faibles et les tuer, souvent en les faisant souffrir, cela relève de l’usurpation ou de l’indigence spirituelle selon le degrés de conscience.
  4. Précisément parce que la violence existe encore dans la nature, l’Homme chrétien est appelé à avoir un rôle prophétique. Le chrétien ne se contente pas de protéger l’intégrité des écosystèmes et leurs dynamiques : il est appelé à témoigner d’un au-delà du temps – un ordre des choses qui de fait ne correspond plus à ce que nous connaissons – Le Royaume d’Amour.

La réalisation du Royaume de Dieu (Parousie) a t’elle quelques-chose à voir avec notre condition présente ? Autrement-dit, la non-violence universelle nous concerne t’elle dés à présent, ou ne serait-elle qu’une caractéristique du Royaume de Dieu futur ?

  1. Dans une perspective chrétienne, le Royaume de Dieu et notre monde (touché par le péché – c.a.d. l’éloignement d’avec Dieu), l’éternité et le temps présent, le Ciel et la Terre, le Christ crucifié et le Christ ressuscité doivent être saisis en même temps – ce ne sont pas des réalités d’ordre uniquement ontologique (la personne qui croit en Dieu est sauvé dés à présent) ou uniquement chronologique (le cosmos entier est libéré de la violence… Progressivement, dans le temps).
    ◦ Si nous avons encore un pied dans la première réalité (le présent marqué par la violence), nous en avons aussi un autre dans la seconde (le Royaume de justice et de paix universelle) suite à la Résurrection – c’est bien là le fondement de l’espérance chrétienne ! Si donc les Chrétiens ne témoignent pas de la seconde, ils sonnent creux comme les cymbales de Saint Paul.
  2. Témoigner de la Paix universelle, non seulement est un devoir chrétien mais concerne les actes : le chrétien n’attend pas passivement le Royaume, sûr de son Salut personnel mais, à l’instar de Jésus et en Lui, il se met au service de l’Amour pour hâter sa venue ! Dans le cas contraire les Chrétiens seraient aussi dégagés du devoir d’aimer les hommes sous prétexte que la paix entre eux ne se réalisera pas dans le temps chronologique de l’humanité, c’est-à-dire avant la réalisation du Royaume !
    ◦ Croire que le baptême et la participation aux sacrements de l’Église sauvent les fidèles alors même que ceux-ci ne tendraient pas réaliser les caractéristiques du Salut dans leur vie – justice, paix, charité – revient à réduire l’action de l’Église à de la magie. Le Salut est en effet la possibilité que Dieu donne à l’Homme de réintégrer librement la vie divine d’Amour trinitaire en Christ : l’accord et la conformation volontaire de l’Homme à cette proposition d’Amour est nécessaire pour sa réalisation.
  3. Il existe une solidarité de toute la Création dans le chemin vers le Royaume : l’Amour ne peut se vivre seul car il est Relation ; de même le Royaume est celui des relations d’Amour dont la Trinité est le prototype. En d’autres termes, le chrétien ne se sauve pas seul.

La vision de Saint-Pierre (Ac. 10)

Comme on l’a vu plus haut, le cœur du message chrétien ne concerne pas la nourriture mais quelque-chose de bien plus profond.
La vision de Saint-Pierre supporte ainsi diverses interprétations qui ne concernent pas forcément la nourriture. L’allégorie est une figure de style courante dans la Bible.

Jésus a mangé du poisson…

  1. La révélation de Dieu dans l’histoire – ou théophanie – ne se réduit pas à Jésus-Christ. Dieu se révèle dans la Création, il s’est révélé par les prophètes, il se révèle par les témoins de Jésus – les apôtres, par l’effort intellectuel des théologiens qui tentent de comprendre et d’exprimer l’expérience humaine de Dieu en mots etc. Ainsi
    ◦ la compréhension de Jésus-Christ (nature, paroles et actes) ne peut se faire que conjointement avec l’ensemble des éléments que Dieu nous donne pour apprendre à Le connaître (Lui, Dieu). Autrement dit, on ne peut comprendre ce qui en Jésus relève du contingent (Jésus avait peut-être une barbe -ou l’inverse ; Jésus habitait en Israël ; etc…) de ce qui relève du divin qu’à la lumière de tous les éléments de la révélation.
    ▪ Il est par exemple trop évident que l’épisode dans lequel Jésus assèche un figuier ne nous invite pas à faire de même ; et le fait que Jésus permette à un esprit de se réfugier dans les cochons qui se jettent du haut de la falaise4 n’est pas une autorisation à massacrer les porcs !
    ◦ Nous tenons pour divin le fait que Jésus justifie les doux, les artisans de paix et les assoiffés de Justice5 car cela entre en résonance avec tout l’Ancien Testament et sera repris par toute la tradition de l’Eglise. Le fait que Jésus ne donne pas d’interdit alimentaire ne donne donc pas en soit licence de tout manger. Il faut se référer au cœur du message
    ▪ – les Béatitudes (Mathieu 5 ; 1-10), avec ce que dit Isaïe en amont (Isaïe 11 ; 1-9) et Paul en aval (Colossiens 1, 15-20), suffisent à comprendre le cadre plus essentiel dans lequel se situe l’acte de manger – à savoir, l’absence de violence – et la forme qu’elle doit prendre.

Conclusion

La consommation de chair animale pose problème à la vision chrétienne du monde dans la mesure où elle présuppose la mise à mort – en général avec génération de souffrance – qui s’oppose à l’Amour de Dieu dont le baptisé doit témoigner, lui qui participe à la Résurrection de Jésus-Christ.
Dans le monde présent qui n’est pas encore le Royaume, et parce que l’Homme peut en général se nourrir convenablement sans produits carnés on peut accepter que dans certains cas extrêmes (mais l’extrême ne se présente pas tous les jours!), l’Homme se voit obligé de tuer pour survivre, tout comme il peut s’avérer parfois légitime de tuer une personne pour en sauver des milliers. Cela doit cependant être identifié comme un compromis lié aux limites du présent et non comme une pratique moralement justifiée !

Notes 

1 Genèse, chap. 1, versets 26-27

Première lettre de Saint Paul aux Corinthiens, chap. 13, verset 1

Évangile de Matthieu, chap. 5, versets 13-16